La délicate question d’un malaise survenu aux temps et lieu du travail

CA AMIENS, 28 mars 2023, RG n° 21/05294 *

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Par cet arrêt, la Cour d’appel d’AMIENS revient sur l’application de la présomption d’imputabilité en présence d’un malaise du salarié aux temps et lieu du travail, alors même que ce dernier ne faisait aucun effort physique particulier susceptible d’expliquer ledit malaise.

Tel était le cas en l’espèce. Le 03 mars 2020, un salarié a, malheureusement, été victime d’un malaise mortel sur son lieu de travail. Plus précisément, ce jour, le salarié s’est rendu sur son lieu de travail pour prendre son service à 5h00. Il est arrivé sur le site aux environs de 4h25 et s’est rendu aux vestiaires pour revêtir sa tenue de travail. Vers 4h45, il s’est ensuite dirigé vers son poste de travail tout en prenant son café le temps d’attendre son binôme. Ce dernier a découvert le salarié inanimé au sol à 4h58.

Après enquête, la CPAM a reconnu le caractère professionnel de cet accident. L’employeur a contesté cette décision de prise en charge devant les juridictions de sécurité sociale.

En la matière, il convient de rappeler, en premier lieu, les dispositions de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale :

« Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ».

Pour démontrer le lien entre un accident et le travail, la jurisprudence a établi l’existence d’une présomption pour tout accident survenu aux temps et lieu de travail. Autrement dit, l’accident est présumé en lien avec le travail dès lors qu’il est survenu pendant le temps de travail et sur le lieu de travail.

A titre d’illustration, tout malaise survenu aux temps et lien du travail est présumé être en lien avec le travail (Cass. civ. 2ème, 29 mai 2019, n° 18-16.183 Cass. civ. 2ème, 9 septembre 2021, n° 19-25.418).

La jurisprudence est assez souple sur les notions de lieu de travail et d’heure de travail.

Ainsi, doit être reconnu comme un accident du travail l’accident survenu « dans une dépendance de l’entreprise où l’employeur continuait à exercer ses pouvoirs d’organisation, de direction et de contrôle, de sorte que le salarié se trouvait toujours sous son autorité et n’avait pas encore entrepris, en toute indépendance, le trajet reliant le lieu de son travail à sa résidence » (Cass. soc., 30 novembre 1995, n° 93-14.208).

En application de la présomption d’imputabilité, il appartient alors à l’employeur, ou à la CPAM, de rapporter la preuve d’une cause totalement étrangère au travail.

Au cas présent, après avoir rappelé la présomption d’imputabilité, la Cour d’appel d’AMIENS note que l’employeur contestait l’application de ladite présomption dans la mesure où le malaise du salarié ne correspond pas à un moment où celui-ci avait commencé à travailler effectivement et se trouvait sous la responsabilité et l’autorité de son employeur.

Cependant, pour la Cour, il est établi et non contesté que le salarié travaillait en 3×8 avec une journée de travail commençant à 5h00 du matin pour se terminer à 13h00. La prise de poste devant sa machine de travail suppose que celui-ci arrive avant 5h00 du matin pour passer au vestiaire et revêtir sa tenue de travail. Le salarié est arrivé à 4 h 27 du matin, soit environ une demi-heure avant sa prise de poste. Cette avance sur l’horaire était habituelle chez lui et n’était pas contestée par l’employeur.

Selon la Cour, l’origine professionnelle d’un accident peut être établie y compris lorsqu’il survient avant l’horaire officiel de prise de poste dans la mesure où cette présence est connue et tolérée par l’employeur et qu’elle est en rapport avec l’activité professionnelle.

Elle relève donc que le salarié attendait son binôme déjà présent dans les locaux de l’entreprise. Ce moment précédant la prise de poste ne peut être détaché de l’activité professionnelle dès lors qu’il vise à assurer à l’entreprise la continuité de son activité 24 heures sur 24.

Dès lors, elle applique la présomption d’imputabilité, l’employeur devant rapporter la preuve d’une cause totalement étrangère pour la renverser.

Cependant, aucun élément médical ne permettait d’établir que l’intéressé souffrait de problèmes cardiaques récurrents dans le cadre d’une pathologie qui évoluait pour son propre compte, aucun suivi médical n’ait été établi à ce titre, et le simple passage aux urgences quelque temps avant ne peut caractériser une telle situation.

En conséquence, l’ensemble de ces éléments conduit à considérer que l’intéressé a été victime d’un malaise mortel qualifié d’accident du travail.

Florent LABRUGERE
Avocat en droit du travail et en droit de la sécurité sociale

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N.B : On ne sait pas, au jour de la rédaction de ce billet, si l’arrêt est définitif et n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation.