La filature d’un salarié par un détective privé, possible ou non ?

CA ANGERS, 25 janvier 2024, RG n° 21/00209 *

Par cet arrêt, la Cour d’appel d’ANGERS est amenée à apprécier la licéité de la production en justice par l’employeur d’une enquête réalisée par un détective privé à l’insu du salarié.

En la matière, l’article L. 1222-4 du code du travail dispose qu’aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance.

Selon une jurisprudence ancienne, une filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu’elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l’employeur (Cass. soc., 26 novembre 2002, n° 00-42.401).

Au surplus, faire suivre un salarié par une agence de détective privé pendant plusieurs heures est attentatoire à la vie privée de l’intéressé et caractérise un comportement déloyal de l’employeur justifiant sa condamnation au versement de dommages et intérêts (Cass.  soc., 26 septembre 2018, n° 17-16.020).

Aujourd’hui, cette jurisprudence ne semble plus totalement d’actualité, puisque l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.

Par un arrêt d’assemblée plénière, la Cour de cassation a précisé la conduite à tenir et le raisonnement à suivre pour les juges du fond.

Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648).

Telle était la problématique qui était soulevée dans l’arrêt commenté.

En l’espèce, il était question d’un salarié qui a été embauché en 1986 dans une entreprise de plomberie et occupait, au dernier état de la relation contractuelle, le poste de commercial. Il a été en arrêt pendant plusieurs mois entre 2018 et 2020.

Le 10 février 2020, il a été licencié pour faute grave motivé par un dénigrement de l’entreprise et l’exercice d’un travail dissimulé et concurrentiel pendant ses arrêts de travail. Il a contesté son licenciement devant les juridictions prud’homales.

En cours de procédure, afin de justifier du comportement fautif, l’employeur a produit des rapports d’enquête d’un détective privé. Le salarié a soulevé l’illégalité de ce mode de preuve.

Après avoir rappelé les règles précitées, la Cour d’appel d’ANGERS note qu’aux termes de la lettre de licenciement, l’employeur reproche à son salarié une violation de son obligation de loyauté pour avoir exercé, durant son arrêt de travail pour maladie, une activité concurrente à la sienne.

A l’appui de ce grief, il se réfère notamment à quatre rapports d’enquête effectués à sa demande dont il ressort que l’enquêteur a pris en observation et en filature le salarié, alors en arrêt maladie, en suivant celui-ci à partir de son domicile sur différents lieux, en dehors de son lieu de travail, avec prise de photographies.

Pour la Cour, il n’est pas contestable que ce moyen de preuve est illicite, comme ayant été obtenu en atteinte à la vie privée du salarié, de manière déloyale au regard des filatures réalisées à son égard, à partir de son domicile, pour, à son insu, contrôler et surveiller ses activités sur différents lieux, en dehors de son lieu habituel de travail, sans qu’il en ait été préalablement informé.

Or, d’une part, il n’est pas mis en évidence que l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie privée du salarié, au travers de mesures d’instruction légalement admissibles préalablement ordonnées, ou au travers d’un procès-verbal de constat d’huissier, ou encore au travers d’attestations, à telle enseigne que de tels éléments figurent de surcroît au dossier de l’employeur.

Il n’est en outre pas démontré par l’employeur que l’atteinte à la vie privée du salarié soit strictement proportionnée au but poursuivi et justifiée par ses intérêts légitimes, alors même qu’il est constant qu’une filature organisée à l’initiative de l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié constitue une atteinte à la vie privée insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l’employeur.

Dès lors, la Cour d’appel écarte des débats les rapports d’enquête, peu important que l’enquêteur bénéficie d’un agrément et que son activité soit encadrée et contrôlée.

Pour autant, sur le fond, elle confirme le bien-fondé du licenciement au regard des autres éléments de preuve rapportés par l’employeur.

Cet arrêt souligne que la jurisprudence récente de la Cour de cassation ne remet pas en cause le principe que la filature d’un salarié, à son insu, semble toujours prohibée.

Pour autant, il est toujours préconisé à l’employeur de réunir le maximum d’éléments de preuve licites pour démontrer la réalité d’un comportement fautif.

Maître Florent LABRUGERE

Avocat au Barreau de LYON

Droit du travail – Droit de la sécurité sociale

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N.B : On ne sait pas, au jour de la rédaction de ce billet, si l’arrêt est définitif et n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation.