CA DOUAI, 23 février 2024, RG n° 22/00713 *
Par cet arrêt, la Cour d’appel de DOUAI est amenée à apprécier le bien-fondé d’un licenciement disciplinaire à l’encontre d’un salarié auquel il est reproché d’avoir tenu des propos insultants sur son lieu de travail.
La première norme de référence pour ce type d’affaire est l’article L. 1121-1 du code du travail qui dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Les libertés individuelles sont celles instaurées au niveau constitutionnel et international, dont la liberté d’expression consacrée, en interne, à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et, à l’international, à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Rapporté au droit du travail, la chambre sociale de la Cour de cassation juge de manière constante qu’y compris dans la sphère professionnelle, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression (Cass. soc., 14 décembre 1999, n° 97-41.995).
Il est, dès lors, question de savoir comment caractériser un abus dans la liberté d’expression susceptible de justifier un licenciement.
Pour la juridiction suprême, un tel abus se retrouve en présence de « propos injurieux, diffamatoires ou excessifs » (Cass. soc., 11 octobre 2023, n° 22-15.138).
A titre d’illustration, les propos suivants n’ont pas été considérés comme caractérisant un abus (Cass. soc., 22 septembre 2021, n° 19-24.705) :
« J’espère qu’en arrivant chez Time hôtels tu as un plan B car lorsque tu ne seras plus en odeur de sainteté tu seras débarqué. Tu es en période d’essai ? C’est 6 mois ? ».
A cet égard, « le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice, par le salarié, de sa liberté d’expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement » (Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-16.060).
Au contraire, constitue des propos excessifs tenus par un salarié à ses responsables (Cass. soc., 14 juin 2023, n° 21-21.678) :
« J’aimerais que tes réponses soient en correspondance avec ton poste de manager et je ne veux plus de ce type de réponse bidon »
« heureusement que d’autres commerciaux sont plus aguerris et réactifs »
« Encore une fois elle ne prévient personne ni le client ni le consultant ; si elle ne fait pas d’effort je t’invite à trouver un nouveau consultant pour ce compte. J’ai déjà eu des accrochages avec elle sur le fait qu’elle ne dise rien au consultant sur site. N’hésites pas à en parler à son responsable le cas échéant car elle n’a pas retenu la leçon ».
Telle était la problématique qui était soulevée dans l’arrêt commenté.
En l’espèce, il était question d’un salarié qui a été engagé en qualité de responsable d’un point chaud d’un magasin hypermarché. Le 19 février 2020, il a fait l’objet d’un licenciement pour faute grave en raison de propos insultants.
La lettre de licenciement évoque les propos suivants :
« elle me casse les couilles, elle m’a fait une liste de choses à revoir longue comme ma bite »
« je vous parle comme je veux, si j’ai envie de mal vous parler, je vous porte mal »
« J’attends avec plaisir votre avertissement, j’en ai rien à faire »
Le salarié a contesté son licenciement devant les juridictions prud’homales.
Après avoir repris les termes de la lettre de licenciement, la Cour d’appel de DOUAI relève qu’il ressort des pièces produites que le 07 février 2020, le salarié a manifesté de l’emportement suite à des observations du gérant sur l’état de son rayon.
Cependant, il n’est pas établi que ses propos, dont l’employeur ne détaille pas le contenu, aient dépassé le strict cadre de la liberté d’expression dont jouit tout travailleur dans l’entreprise.
Par ailleurs, le fait que le salarié ait refusé de s’asseoir lorsqu’il a été invité à le faire ne s’analyse pas en un manquement aux obligations découlant du contrat de travail.
Si le salarié a pu apparaître agacé, à tort ou à raison, par les reproches de sa direction et les conséquences d’un audit il n’est pas établi qu’il ait tenu devant témoin des propos inconvenants concernant l’auditrice.
Surtout, selon elle, si comme soutenu le salarié dit au gérant « je vous parle comme je veux si j’ai envie de mal vous parler je vous parle mal », ces propos, certes vifs mais non injurieux, n’ont pas excédé les bornes de la liberté d’expression accordée aux travailleurs dans l’entreprise étant relevé qu’aucun élément ne permet d’éclairer la cour sur le contexte de cet échange et l’attitude de l’employeur lors de celui-ci.
Sur les autres propos, la Cour estime les attestations produites par l’employeur comme trop imprécises, de telle sorte qu’elle juge le licenciement comme sans cause réelle et sérieuse.
Cet arrêt met en lumière l’important contentieux existant ces dernières années quant à la liberté d’expression des salariés.
Surtout, elle relève l’importance primordiale pour tout employeur optant pour ce motif de licenciement de réunir les éléments de preuve adéquats pour se prémunir de tout risque contentieux ultérieur.
Maître Florent LABRUGERE
Avocat au Barreau de LYON
Droit du travail – Droit de la sécurité sociale
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N.B : On ne sait pas, au jour de la rédaction de ce billet, si l’arrêt est définitif et n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation.