L’invocation d’une inaptitude professionnelle, une affaire de dates

CA BORDEAUX, 21 mars 2024, RG n° 21/02579 *

Par cet arrêt, la Cour d’appel de BORDEAUX est amenée à apprécier la recevabilité d’une demande relative au caractère professionnel ou non d’une inaptitude et, plus précisément, de la demande en paiement des indemnités spéciale de licenciement et compensatrice de préavis.

En la matière, avant d’apprécier le bien-fondé d’une telle demande, il convient de voir si celle-ci a été soulevée dans les délais.

Plus particulièrement, il est de vigueur aujourd’hui que, selon l’article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

Avant le 23 septembre 2017, le délai de prescription était de deux ans.

La Cour de cassation a précisé que l’action par laquelle le salarié demande paiement de l’indemnité spéciale de licenciement prévue à l’article L. 1226-14 du code du travail est une action se rattachant à la rupture du contrat de travail et n’a pas pour objet la réparation d’un dommage causé à l’occasion de l’exécution du contrat de travail.

En d’autres termes, la prescription abrégée de douze mois s’applique aux demandes précitées (Cass. soc., 21 juin 2023, n° 22-10.539).

Telle était la problématique qui était soulevée dans l’arrêt commenté.

Au cas d’espèce, il était question d’une salariée qui a été engagée en qualité de technicienne magasinier. Après plusieurs périodes d’arrêts maladie, elle a été déclarée inapte à son poste puis licenciée pour inaptitude non professionnelle le 21 septembre 2016.

Dans le même temps, la salariée avait initié une procédure devant les juridictions de sécurité sociale afin de contester un refus de prise en charge de sa maladie ayant conduit à son inaptitude.

Finalement, le caractère professionnel de la maladie a été reconnu par un jugement de l’ancien tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde du 18 octobre 2018.

A la suite de cette décision, la salariée a saisi le Conseil de prud’hommes, le 04 juin 2019, aux fins d’invoquer le caractère professionnel de son inaptitude.

En défense, l’employeur a soulevé la tardiveté de cette demande.

Au cas présent, la Cour d’appel de BORDEAUX relève que la lettre de licenciement adressée à la salariée l’informait que son licenciement était fondé sur une inaptitude d’origine non professionnelle.

Or, celle-ci avait sollicité la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie avant son licenciement en saisissant les juridictions de sécurité sociale en contestation du refus de prise en charge de la CPAM.

La Cour d’appel rappelle également qu’il est de jurisprudence constante que la juridiction prud’homale peut estimer que l’inaptitude d’un salarié a une origine professionnelle, que la caisse ait statué ou non.

Ainsi, la salariée disposait à la date de la réception de sa lettre de licenciement, le 21 septembre 2016, des éléments de fait lui permettant d’exercer son droit de contestation du bien-fondé de son licenciement, sans qu’elle ait à attendre la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale.

Le délai de prescription, initialement de deux ans, a donc couru à compter de la réception de ladite lettre. Il s’est ensuite trouvé réduit à une année à compter du 23 septembre 2017, de sorte que la saisine aurait dû intervenir avant le 21 septembre 2018.

Elle juge donc que l’action en contestation du bien-fondé du licenciement est irrecevable pour cause de prescription, la saisine étant intervenue le 04 juin 2019, et déboute la salariée de l’ensemble de ses demandes indemnitaires.

Cet arrêt vient rappeler l’indépendance existant entre une procédure initiée devant une juridiction de sécurité sociale et une autre initiée devant les juridictions prud’homales et de la nécessité de bien vérifier la prescription en la matière.

Ce point peut être relativisé puisque la jurisprudence a déjà admis qu’une action prud’homale est susceptible d’interrompre le délai de prescription de l’action en faute inexcusable de l’employeur (Cass. civ. 2ème, 07 juillet 2022, n° 20-21.294).

Maître Florent LABRUGERE

Avocat au Barreau de LYON

Droit du travail – Droit de la sécurité sociale

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N.B : On ne sait pas, au jour de la rédaction de ce billet, si l’arrêt est définitif et n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation.